"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

jeudi 29 juillet 2010

Photios Kontoglou: La Musique Byzantine


Il y a deux sortes de musiques (comme pour les autres arts aussi), la musique profane et la musique liturgique. Chacune d'elle a été développée par des sentiments différents et différents états d'âme. La musique profane (id est charnelle) exprime des sentiments et des désirs séculiers. Bien que ces sentiments puissent être très raffinés (romantiques, sentimentaux, idéalistes, etc), ils ne cessent d'être charnels. Néanmoins, beaucoup de gens croient que ces sentiments sont spirituels. Cependant, les sentiments spirituels ne s'expriment que par la musique liturgique. Seule la musique liturgique peut vraiment exprimer les mouvements secrets du cœur, qui sont entièrement différents de ceux inspirés et développés par la musique profane. Autrement dit, elle exprime la contrition, l'humilité, la souffrance et la tristesse selon Dieu, qui, comme le dit [l'apôtre] Paul, "par la repentance agit pour le salut." [2] La musique ecclésiastique peut aussi évoquer des sentiments de louange, de reconnaissance, et un saint enthousiasme. La musique profane, d'autre part, même la plus pure, exprime des émotions charnelles, même quand elle est inspirée par la souffrance et l'affliction. Ce type de souffrance, [l'apôtre] Paul l'appelle "douleur du monde", qui "produit la mort." [3]

Ainsi, deux sortes de musique ont été formées, la profane, qui suscite l'émotion, toutes sortes d'émotions, et la musique sacrée, qui évoque la contrition. Saint Jean Chrysostome condamne fermement les tentatives qui ont été faites par certains de ses contemporains d'introduire dans l'Église la musique profane, la musique du théâtre et du mime.

Seuls les arts qui ont été élaborés par des motifs pieux depuis les premières années du christianisme ont donné vie à l'essence spirituelle de la religion. Eux seuls peuvent être appelés liturgiques, c'est-à-dire spirituels, en ce sens que la religion donne au terme "spirituel". Les odes "spirituelles" dont parle saint Paul [4] furent de telless œuvres d'art. Tous les arts liturgiques expriment la même chose: l'architecture, les hymnes, l'iconographie, la broderie, et même l'écriture, la manière de marcher, et en général les mouvements et les gestes des prêtres, le carillon des cloches, et ainsi de suite.

Que ces arts soient vraiment d'une spiritualité unique a été compris par de nombreux non-orthodoxes, en particulier des ecclésiastiques, dont les organes des sens ont été exposés, depuis la jeunesse, aux influences de formation différentes de celles dans lesquelles les chrétiens orthodoxes ont été élevés. Néanmoins, ils avouent que nos icônes et notre psalmodie évoquent en eux la contrition, bien sûr lorsqu'elle sont exécutées par des artistes inspirés et pieux.

Ainsi, la valeur des arts liturgiques n'est pas purement conventionnelle, mais réelle, s'étendant au-delà des conceptions limitées due à la nourriture, à l'habitude et au goût, car même les personnes qui ne sont pas de foi orthodoxe reconnaissent que les arts de l'Église orthodoxe reflètent l'esprit de l'Évangile et pour cette raison élèvent l'âme au-dessus du monde terrestre. Et comment pourrait-il en être autrement, dans la mesure où ces arts ont été mis au point par des cœurs sanctifiés, qui sentaient profondément l'élément liturgique dans le discours et la musique? La musique liturgique est le vêtement musical naturel de la parole liturgique. Toutes deux ont surgi ensemble, elles sont une seule et même chose. L'essence et l'expression ont ici une correspondance absolue, encore plus exacte que celle d'un objet et de son reflet dans un miroir, car les objets dont nous parlons ici appartiennent à la sphère du spirituel.

L'esprit profond et apocalyptique de la religion chrétienne et de ses mystères ne pouvait être exprimé fidèlement et dignement que par ces arts, qui sont appelés liturgiques et spirituels, et qui ont été développés par le même esprit profond. Seule cette musique, et rien d'autre, exprime de façon unique l'esprit de notre religion, parce que cette musique a une correspondance absolue et plus exacte avec elle. De ceci témoigne, je le répète, certains hommes dont l'éducation spirituelle, la formation religieuse, phylétique et d'autres héritages n'ont pas de rapport avec les orthodoxes. "L'Esprit souffle où il veut", [5] et il est transmis aux âmes par le biais de sons que le même Esprit a formé, en illuminant les âmes des saints auteurs des hymnes.

Les Pères de l'Église ordonnèrent que les chrétiens utilisent la seule voix dans l'exécution des hymnes, psalmodiant comme notre Seigneur Lui-même et ses disciples. Saint Jean Chrysostome dit: "Notre Sauveur chantait des hymnes comme nous le faisons." Les Constitutions Apostoliques interdisent l'utilisation d'instruments de musique dans l'Église. Du temps des Apôtres, la psalmodie est monophonique, ou homophonique, comme elle l'est à ce jour dans nos églises [en Grèce].

L'Église d'occident, afin de satisfaire les gens et de flatter leurs goûts, mit des instruments de musique dans les églises, désobéissant à ce que fut ordonné par les Pères. Ils l'ont fait parce qu'ils n'avaient pas idée de ce qu'était la musique liturgique et de ce que la musique profane était, comme ils ne savaient pas la différence entre la peinture liturgique et la peinture profane. Mais les Byzantins distinguent l'une de l'autre, et cela montre combien plus spirituelle, ils ont été en comparaison avec les Occidentaux et combien plus véritablement ils ont vécu l'esprit du christianisme. La musique byzantine est, en comparaison avec la musique de l'occident, exactement comme est l'iconographie orthodoxe, en comparaison avec la peinture religieuse de l'occident.

Combien divine, en effet, est la psalmodie de l'Église orthodoxe! Elle semble de plus en plus douce chaque année pour le chrétien, vin nouveau qui remplit le cœur de joie et le fait s'élever dans la région éthérée de la vie immortelle. Les paroles et la mélodie sont une seule et même chose. Celui qui les sépare montre qu'il n'a rien compris. Il aurait été préférable que la musique d'église soit complètement éliminée et les tropaires et les hymnes tout simplement lus, au lieu d'avoir ces combinaisons hermaphrodites de musique byzantine et européenne.

La musique byzantine est paisible, triste mais consolante, enthousiaste, mais réservée, humble, mais héroïque, simple mais profonde. Elle a l'essence spirituelle même des Évangiles, des hymnes, des psaumes, des livres de vie des saints, et de l'iconographie de Byzance. C'est pourquoi la musique byzantine est monotone pour celui pour qui les Évangiles sont monotones, naïve pour celui pour qui les Evangiles sont naïfs, limitée pour celui pour qui les Evangiles sont limités, douloureuse pour celui pour qui les Évangiles sont tristes, vétuste pour celui pour qui les Évangiles sont vétustes. Mais elle est joie pour celui pour qui les Évangiles sont joyeux, pleine de componction pour celui pour qui les Évangiles sont remplis de componction, enthousiaste, mais humble pour celui pour qui les Évangiles, sont enthousiastes, mais humble et pacifique pour celui qui fait l'expérience de la paix du Christ.

L'art byzantin est spirituel, et il est nécessaire que l'homme ait une profondeur spirituelle afin de comprendre ses trésors mystiques. La musique byzantine exprime "le deuil joyeux," [6] qui est, ce parfum spirituel que seul les sens spirituels sont capables de ressentir. Sa mélodie n'est pas impie, ostentatoire, découragée, peu profonde, de mauvais goût, ou sans but, elle est douce, humble, douce avec une certaine douceur amère, et pleine de contrition et de miséricorde. Elle donne une gloire spirituelle inflétrissable aux âmes qui se sont devenues dignes des mystères éternels et de la compassion de Dieu. Elle exprime l'action de grâces, ce qui entraîne l'écoulement des larmes de gratitude et de joie spirituelle. Cette musique est la plus chaude, la plus directe, et l'expression la plus concise du sentiment religieux des fidèles orthodoxes.
Signature de Photios Kontoglou

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Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

NOTES
[1]Photios Kontoglou de bienheureuse mémoire (1895-1965) a joué un rôle majeur dans le retour glorieux de l'iconographie byzantine traditionnelle dans le monde grec-orthodoxe au XXe siècle. Il était aussi un chantre accompli et un auteur spirituel qui a inspiré d'innombrables âmes à embrasser les traditions inaltérées de la foi orthodoxe. Cet épilogue est constitué d'extraits de ses écrits traduits dans le livre Byzantine Sacred Art par le Dr. Constantin Cavarnos, qui fut l'un de ses disciples.

[2] Cor II. 7:10

[3] Ibid.

[4] cf Eph. 5:19 et 3:16 Col.

[5] Jeann. 3:08

[6] L'échelle Sainte de saint Jean Climaque, 7:09 Step (Migne, Patrologia Graeca, vol. 88, col. 804B)


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