"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mercredi 24 septembre 2014

Interview de Bernard Le Caro à GEOPOLITIKA


1. Pourriez-vous dire quelque chose sur vous-même et sur votre cheminement dans la foi chrétienne orthodoxe pour les lecteurs de “Geopolitika” ?

Je me suis intéressé à l’Orthodoxie depuis l’enfance. Et puis, alors que j’étais âgé de 17 ans, j’ai fait connaissance du couvent russe de Lesna, près de Paris qui, avant-guerre se trouvait à Hopovo, en Serbie. Lors de ma première visite j’y assistai à l’office de l’Acathiste à la Mère de Dieu devant l’icône miraculeuse de Lesna. Des moniales âgées, d’une voix fatiguée, chantaient, dans une église de fortune. Pourtant, quelle grâce ! « Elles n’avaient rien, mais possédaient tout » comme le dit l’Apôtre Paul. C’est là aussi, le même jour que je rencontrai mon futur père spirituel, l’archiprêtre Čedomir Ostojić, un réfugié serbe qui servait l’église russe à Bruxelles, un admirable disciple de St Jean de Changhaï. Cela a été mon premier contact, mais il a été décisif. Plus tard, pour « m’orthodoxiser », la sage en Dieu higoumène de Lesna Théodora m’envoya en Serbie. C’était en 1968. Ce fut le premier pays orthodoxe dont je fis connaissance avec ses monastères, ses lieux saints, et surtout ses saints vivants, le père Justin et puis aussi l’évêque Paul de Prizren, le futur patriarche. Alors, on peut se demander ce qui pouvait attirer un occidental vers l’Église orthodoxe, persécutée, mutilée, au surplus divisée en Occident. Eh bien, c’était précisément sa sainteté, malgré toutes les faiblesses humaines. « Ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile », comme le disait l’Apôtre Paul. Cette sainteté témoignait que l’Église orthodoxe était l’Église primitive, avec sa vie apostolique, ses saints thaumaturges. J’ajouterai que deux hiéromoines serbes m’ont alors énormément aidé dans mon cheminement : les pères Athanase Jevtić, actuellement  évêque émérite de Herzégovine et le père Amfilohije Radović, actuellement métropolite du Monténégro. Je leur en serai éternellement reconnaissant.


2. Lorsque vous êtes devenu chrétien orthodoxe, à quel point étiez-vous conscient que vous reveniez à la maison – car, ne l’oublions pas, la France, votre patrie, était, à l’instar de l’Irlande, l’ornement de l’Occident orthodoxe, pleine de saints, depuis les martyrs de l’Eglise ancienne comme St Irénée, également un grand théologien, en passant par Ste Geneviève, saint Cassien le Romain, jusqu’aux ascètes des Gaules..

Je dois dire que cette conscience m’est venue un peu plus tard, même si c’est le commonitorium de St Vincent de Lérins qui, entre autres, m’a persuadé du manque de fondement du dogme papal. St Jean de Changhaï  a « donné le coup d’envoi » à la vénération des anciens saints qui en Occident même n’étaient plus vénérés, alors qu’il y a pratiquement, chaque jour, dans le calendrier, au moins un saint du territoire de la France actuelle, antérieur au XIème s. On peut ajouter à cela que plus de dix pour cent des communes françaises portent le nom d’un saint. Non seulement des saints de la Gaule ancienne, mais aussi des saints de toute l’Église universelle. Par exemple, ma commune natale porte le nom de St Germain de Constantinople. Sur les traces de St Jean, les orthodoxes russes de Grande Bretagne célèbrent désormais tous les saints des Iles britanniques, qui sont innombrables. Il en est de même en Suisse, où un office de tous les saints qui y ont vécu, est célébré annuellement par les paroisses orthodoxes russes. Il y a même maintenant  un office en slavon qui leur est dédié ! Cette vénération des saints anciens a donné une nouvelle vie à leurs reliques : les orthodoxes célèbrent des offices devant celles-ci, alors qu’elles étaient souvent à l’abandon. Et lorsque je dis une nouvelle vie, ce n’est pas théorique. Alors que je m’étais rendu avec un prêtre grec dans une église contenant les reliques d’un saint du Vème siècle, le prêtre les prit dans sa main, et une odeur très forte s’en dégagea. Vous disiez, que je suis « rentré à la maison, dans l’Église orthodoxe ». Mais on voit aussi que les saints, rentrant dans l’Église orthodoxe rentrent aussi à la maison. Il y a encore en France des reliques de grands saints, dérobées lors du sac de Constantinople, et ces reliques étaient également oubliées. C’est le cas, par exemple, du Crâne de St Jean Baptiste qui se trouvait relégué dans la sacristie de la cathédrale d’Amiens, et qui est maintenant accessible au public. Et cela grâce aux milliers d’orthodoxes qui viennent depuis la Russie le vénérer. Il en est de même des reliques de la sainte impératrice Hélène, à Paris. Les orthodoxes célèbrent souvent des offices d’intercession devant ces reliques. Il y a à cet égard un grand changement dans le clergé catholique-romain, qui laisse volontiers les églises à disposition des orthodoxes. Certains d’entre eux voient dans l’Église orthodoxe l’Église primitive, même s’ils ne peuvent faire le pas…

3. La France, au cours des siècles, a combattu courageusement l’enseignement sur l’infaillibilité papale. Parmi les grands témoins de la vérité à ce sujet, il y a entre autres l’archiprêtre Vladimir Guettée qui, au XIXème siècle est devenu orthodoxe et a écrit un livre, à ce jour insurpassé, sur le primat papal. Dîtes-nous quelque chose à ce sujet.  

Le Père Vladimir Guettée était un solide historien qui aimait la vérité. C’est son étude de l’histoire de l’Église qui l’a conduit à l’Orthodoxie. En examinant scrupuleusement et impartialement les arguments en faveur de la primauté papale, il en est venu à la conclusion que l’Église qui avait préservé l’enseignement des Apôtres et des Pères était l’Église orthodoxe. Son livre « la Papauté schismatique », traduite ensuite en plusieurs langues, est une étude exhaustive : siècle par siècle, il démontre qu’un « évêque des évêques » n’a pas existé dans l’Église du premier millénaire. Fait étonnant, St Théophane le Reclus conseillait la lecture du livre du père Guettée à ceux qui en Russie lisaient le français. Lui-même parlait couramment cette langue. Dans sa réclusion, il lisait la revue « L’union chrétienne » dirigée par Guettée. Maintenant, s’il est vrai qu’au cours du second millénaire, les Français ont lutté contre l’absolutisme papal, il faut encore souligner qu’au cours des premiers siècles la Gaule avait conservé de façon éclatante l’ancienne ecclésiologie. Je citerai les conciles de la Gaule du Vème siècle : l’un de ceux-ci condamna une hérésie locale et demanda au pape de Rome, non pas son opinion, non pas de confirmer la décision…  mais de communiquer celle-ci aux autres Églises !

4. Vous vivez depuis plusieurs décennies en Suisse et appartenez à l’Eglise russe hors frontières du Patriarcat de Moscou. Vous avez fourni votre apport à l’union de l’Eglise russe hors-frontières et du Patriarcat de Moscou. Quelle est votre expérience de l’Orthodoxie à l’étranger et comment s’est passé le processus d’union après la chute du communisme ?

Je considère que cela a été une immense bénédiction de Dieu  Quant au processus l’unité de l’Église russe, St Jean de Changhaï l’a aidé après son trépas. Lorsque s’est réunie l’Assemblée de la diaspora en 2006 à San Francisco, comme cela est naturel, les idées les plus contradictoires fusaient de toutes part. On aurait pu dire que cela n’aboutirait à rien. Mais soudain, certains de nos prêtres eurent l’idée suivante : ils se rappelaient du miracle de Ste Euphémie, sur les reliques de laquelle les Pères de Chalcédoine avaient posé les deux déclarations, l’une orthodoxe, l’autre hérétique. Quatre jours après, les Pères virent la confession orthodoxe dans la main de la sainte, tandis que la déclaration hérétique se trouvait sous ses pieds. Alors, nos prêtres posèrent sur les reliques de St Jean un projet de résolution de l’Assemblée, demandant aux évêques de rétablir la communion eucharistique avec Moscou, puis célébrèrent un office d’intercession en commémorant les noms de tous les membres de ladite Assemblée. Le lendemain, la résolution fut adoptée à l’unanimité… Il faut dire que Mgr Amfilohije, par des paroles convaincantes, avait aussi soutenu la réconciliation dans l’Église orthodoxe russe. Quant à moi, j’étais chargé de toute autre chose : évoquer la mission de l’Orthodoxie en Occident. J’ai rappelé que selon St Jean de Changhaï, la diaspora russe avait pour mission de ré-évangéliser – selon la foi droite – l’Occident. J’ajouterai que ce n’est pas seulement la tâche des Russes, mais de tous les autres peuples orthodoxes présents en Occident ! Pour revenir à la question de la réunion de toute l’Église russe, permettez-moi une réflexion. Si un événement aussi important et irréalisable à vue humaine que la réunion du Patriarcat de Moscou et de l’Église russe hors frontières a été possible, et ce grâce à une certaine dose de bonne volonté de part et d’autre, pourquoi la « guérison » du schisme de l’un des anciens disciples du P. Justin est-elle impossible ? Le P. Justin avait recommandé à ses disciples de résoudre les problèmes ensemble : « Résolvez tout avec un zèle apostolique ! »  Comme on le voit, ces paroles s’adressaient aux quatre disciples du père Justin, lequel, à l’occasion du schisme en Amérique avait proposé une « décision plus humaine ».  Dans le cas contraire, l’Église orthodoxe serbe risque de voir se développer sur son territoire, après la mort du protagoniste de cette malheureuse histoire, un morcellement de groupes se proclamant « véritables chrétiens orthodoxes », à l’instar des vieux-calendaristes en Grèce. C’est au demeurant ce qui se serait passé avec l’Église russe hors frontières si elle n’avait pas procédé à cet acte historique.


5. L’un des plus grands saints de l’Eglise orthodoxe russe hors-frontières est saint Jean de Changhaï, au sujet duquel vous avez écrit en français – le livre est traduit en russe et en serbe. Que pouvez-vous nous dire sur ce grand saint de Dieu, qui a vécu longtemps en occident et qui a commencé à vivifier le culte des saints orthodoxes occidentaux qui ont brillé avant que Rome ne se séparât de l’Orient. Est-il exact que les catholiques-romains en France l’ont vénéré, l’appelant “Saint Jean aux pieds nus”?

Је dirais que l’intérêt pour ce saint et sa vie croît continuellement, sa vénération s’est étendue à tout le monde orthodoxe. Quant aux miracles, ils ont lieu partout, abondamment. Pour ce qui est de la dernière partie de votre question, à savoir la vénération de St Jean de Changhaï par les catholiques-romains, je préciserai que d’abord, le saint a répandu la grâce que Dieu lui avait donnée – les miracles – sur tous les hommes, indépendamment de leur foi, et qu’effectivement un certain nombre d’hétérodoxes qui avaient été en contact avec lui le considéraient comme un saint. Mais c’est loin d’une vénération générale chez eux, il faut à mon avis s’abstenir des exagérations !

6. A l’époque de l’asservissement de l’Eglise orthodoxe serbe par les communistes, vous avez fréquemment visité la Yougoslavie et vous vous êtes dirigé spirituellement chez le saint nouvellement manifesté, saint Justin de Tchélié, au sujet duquel, si Dieu le veut, vous écrirez un livre en français. Comment saint Justin a-t-il supporté l’asservissement auquel ont été soumis les Serbes sous Tito ?

Je suis venu pour la première fois, comme je l’ai dit plus haut, en 1968. Je me rappelle le monastère de Ćelije ; nous n’étions que quelques laïcs à assister à la sainte Liturgie… Toutefois, la chape de plomb qui pesait sur l’Église orthodoxe serbe ne pouvait empêcher la Lumière du Christ de briller. Pour ce qui concerne son attitude envers le régime, St Justin m’avait dit lui-même : « Après leur prise de pouvoir, ils m’ont demandé de collaborer avec eux. Je leur ai répondu : ‘Pour moi, le Dieu-homme est tout, pour vous, c’est l’opium du peuple. De quelle collaboration peut-il être question ? » Le père Justin avait défini le communisme comme « l’utopie criminelle permanente », comme il me l’a dit, car le communisme ne pouvait vivre sans crime. Quant au marxisme, ce n’était pas pour lui une philosophie puisqu’elle ne répondait pas à la question fondamentale : résoudre le problème de la mort. Avec son sens de l’humour, le père Justin disait que, puisque son seul but était de nourrir la population, c’était une « patatologie ». Quant à la situation de l’Église sous le régime titiste, il a écrit son mémorandum « L’Église orthodoxe sous le régime communiste », publié par les soins de Mgr Athanase dans l’excellent recueil « Semences et moissons». Au sujet de Tito lui-même, le père Justin disait que son âme se séparerait très difficilement de son corps, ce qui s’est produit effectivement. Son agonie a duré longtemps. J’ajouterais encore au sujet de sa relation envers le communisme que le père Justin était ulcéré par « l’Ostpolitik » de l’Occident.

7. Le père Justin a écrit le livre “L’Eglise orthodoxe et l’oecuménisme” qui est jusqu’à ce jour la meilleure étude à ce sujet. Quelle a été son attitude envers ce phénomène, qu’il a qualifié de “pan-hérésie” ? Que pensait-il du modernisme et de la réforme liturgique ?

Je mentionnerai la citation de St Maxime le Confesseur, qui lui était chère : « « Je n’appelle pas amour, mais misanthropie et séparation de l’amour divin le fait de tenter de renforcer l’illusion hérétique, pour la plus grande chute de ceux qui la suivent». Par conséquent, toute cette diplomatie, cette rhétorique, il l’a dénoncée ouvertement. Certains racontent maintenant qu’il était « œcuméniste », étayant leurs dires sur le fait que des laïcs catholiques-romains avaient rencontré le père Justin, qui les reçut avec amour chrétien, sans faire différence aucune à ce niveau, ce qui est exact. Or, s’il n’éprouvait aucune haine, pas même à l’égard du pape – il ne haïssait que le péché, le papisme - cela ne veut pas dire qu’il aurait prié avec les non-orthodoxes, donné la communion aux non-orthodoxes, voire qu’il leur aurait raconté n’importe quoi au sujet de l’Orthodoxie dans le but de leur plaire ! J’ajouterais qu’aujourd’hui, en Occident, l’œcuménisme n’intéresse plus grand monde. Un métropolite de Constantinople a parlé de « fatigue œcuménique ». La dernière rencontre du pape et du patriarche Bartholomée, tout comme leur « déclaration commune » n’a fait l’objet de pratiquement aucun reportage dans les médias. Cela a été « un non événement». Maintenant, en ce qui concerne la réforme liturgique. Le père Justin célébrait selon le formulaire de l’Église orthodoxe serbe, sans aucune variante. Dans le litourghikon, qu’il a édité, il dit aux sujet des prières « secrètes » qu’elles ne doivent être lues ni « à voix haute » ni « secrètement », mais « à voix basse ». Je pense, pour ma part, que s’il avait été convaincu de la nécessité de réciter ces prières à voix forte pour le peuple, il l’aurait fait. C’est ainsi qu’il avait introduit le serbe comme langue liturgique, ce qui correspondait à un réel besoin, ce qui venait de l’Esprit Saint, raison pour laquelle cela n’a pas provoqué de troubles dans le corps ecclésial, contrairement aux « réformes liturgiques ».


8. Lorsque non parlons d’oecuménisme, quelle est la situation du catholicisme-romain et du protestantisme ? Je le demande parce que les oecuménistes justifient l’union avec les uns et les autres par un “enrichissement” de l’Orient par la spiritualité occidentale... En quoi serions-nous “enrichis” si l’on en venait à l’union ?

Pour parler du christianisme en Occident, je pense qu’il faut tout de suite faire une distinction entre le Vatican et le peuple de l’Église catholique-romaine. Comme en politique, il faut distinguer le peuple de ses gouvernants… Parlons d’abord, si vous le voulez bien, du Vatican. Si l’on regarde les choses en face, il n’y a pas plus à attendre du pape actuel que de ses prédécesseurs. Comme me l’a dit un politicien américain, « le Vatican c’est comme l’administration américaine, il est irréformable ! » Au niveau ecclésiologique, le pape François a rappelé récemment tous ses titres, dans l’Osservatore romano : « Pasteur universel, Vicaire du Christ, etc… » Donc rien n’a changé. Au niveau liturgique, contrairement à son prédécesseur, il ne semble pas particulièrement intéressé à un retour aux formes plus traditionnelles. Au niveau politique, il a établi un diocèse uniate en Crimée (deux mois avant le retour de la Crimée à la Russie !) et un diocèse uniate spécifique à Bucarest. Quant à l’archevêque uniate d’Ukraine, il a tenté de s’emparer de la Laure des Grottes de Kiev (cum permissio superiorum ?), mais ce projet a heureusement échoué. Il ne faudrait pas non plus oublier que le pape François, alors qu’il était évêque en Argentine, a présidé la béatification de Stepinac…  Alors, quel sens à ce dialogue ?

9. Mais quelle est la situation « sur le terrain » ?

Maintenant, parlons des chrétiens occidentaux eux-mêmes, je me limiterai à la France : c’est une véritable désastre. Plutôt que de donner des statistiques sur les églises fermées, voire détruites ou sécularisées, je préfère donner un exemple de la vie quotidienne : dans un grand nombre de paroisses, en raison du manque de prêtres, on célèbre des enterrements sans prêtres. Ceux-ci sont remplacés par des « équipes pastorales », qui chantent quelques cantiques, lisent l’Evangile, etc… Lorsqu’une personne de ma famille est décédée,  il ne s’est pas trouvé de prêtre pour l’enterrer. Une « équipe » composée de femmes a « célébré » l’office : chanté des chansonnettes, lu l’évangile, encensé le cercueil et lu la prière d’absoute… J’insiste là-dessus : ce n’est pas un phénomène marginal, il s’agit d’une décision de la hiérarchie catholique-romaine en France. Donc, pour répondre à votre question s’il y a un enrichissement à attendre, Je pose à mon tour la question aux œcuménistes : vous enrichirez-vous par des chansonnettes, ou bien les occidentaux s’enrichiront-ils par les stichères de St Jean Damascène, que l’on chante aux enterrements ? Cela dit, il y a – Dieu soit loué – des signes positifs, comme je l’ai dit. Un certain nombre de prêtres ne viennent plus comme précédemment de familles catholique-romaines traditionnelles. Ce sont des gens qui sont venus au christianisme à l’âge adulte. Alors, chez eux, il y a un véritable intérêt pour la spiritualité, ils cherchent quelque chose d’authentique, ils sont sincèrement amis de l’Orthodoxie, n’ayant pas de préjugés comme c’était le cas de leurs prédécesseurs. Cela dit, même des intégristes comprennent maintenant qu’il n’y a plus rien à attendre du Vatican quant à une vie spirituelle et liturgique authentiques,  et ils lorgnent vers l’Orthodoxie. L’un de leurs membres est devenu orthodoxe dernièrement. C’était impensable encore récemment. Donc pour me résumer, je dirais la chose suivante : pour ce qui concerne le Vatican et le catholicisme « officiel »,  on ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres. Mais à côté de cela, il y a d’innombrables âmes en occident qui attendent « la parole nouvelle » dont à parlé Dostoïevsky.


10. Vous m’avez parlé du grand intérêt des chrétiens occidentaux pour la vérité de l’Eglise d’orient. Vous avez fait éditer un livre sur saint Théophane le Reclus. Est-ce que cet intérêt pour la Vérité parmi les occidentaux va s’approfondir ou est-ce un intérêt superficiel pour quelque chose de nouveau ?

La faim pour une authentique spiritualité est importante. Ce livre, dans lequel, avec l’aide de Dieu, j’ai rédigé une biographie de St Théophane et puis procédé à l’édition de ses lettres en français, a eu un retentissement auquel je n’attendais absolument pas. On m’a invité à en parler aux programmes orthodoxes des télévisions et radio françaises. En dehors de l’Orthodoxie, même une radio catholique m’a demandé d’en parler. Et ils ont posé des questions profondes, sur les Pères de l’Église… Cela signifie que le monde contemporain cherche quelque chose d’authentique. Ce n’était pas le cas il y a quelques années.

11. Nombreux sont ceux qui, en Serbie, depuis les politiciens en passant par les intellectuels et jusqu’aux citoyens ordinaires, que notre entrée dans l’EU nous aidera à nous redresser économiquement. Qu’en pensez-vous, d’autant plus si l’on tient compte qu’en Occident, des lois de plus en plus antichrétiennes sont imposées depuis le centre bruxellois ?

Il m’est difficile d’apprécier si la Serbie gagnerait quelque chose économiquement grâce à « l’intégration ». En regardant ce qui se passe dans les pays du Sud de l’Europe, on peut être dubitatif. Par contre, pour ce qui concerne l’aspect spirituel de cette affaire, j’ai une idée plus précise. Il me semble nécessaire de rappeler une chose oubliée : le drapeau européen avait été conçu par les fondateurs du « Marché commun », à savoir les démocrates-chrétiens : le bleu était la couleur de la Mère de Dieu, et les étoiles dorées, les étoiles qui entourent le visage de la Mère de Dieu dans les représentations catholiques romaines. Or, en cinquante ans, l’UE est devenue tout à fait autre chose, une construction monstrueuse qui renie ses racines chrétiennes : que l’on pense au mariage de même sexe, etc…, On a pas affaire seulement à des gens religieusement indifférents, mais à des athées militants. Que l’on songe au fait suivant : pour la première fois dans son histoire récente, aucun ministre du gouvernement français ne se dit croyant ! Le nouveau primat de l’Église orthodoxe d’Ukraine a bien posé la question pour l’avenir de son pays : « En général, le monde est aujourd’hui séparé en deux camps : l’un est représenté par les gens qui s’efforcent de maintenir en vigueur et réellement les lois morales qui ont été données par Dieu à l’homme pour son bien. Et il y a la deuxième moitié qui foule aux pieds ces lois. Par exemple, sur le mariage : Dieu a béni l’homme et la femme, Adam et Ève, non pas deux Adam et deux Ève… Aussi, les lois que nous propose aujourd’hui le nouveau monde européen, ne sont pas acceptables pour nous. Nous ne pouvons agir avec ce monde et nous unir à lui. Nous devons garder l’unité avec les gens qui maintiennent la Loi Divine ». Je pense que cela s’applique à la Serbie également. Et puis, il y a en filigrane, l’entrée dans l’OTAN, dont les intentions criminelles se manifestent de plus en plus. Il suffit d’écouter les provocations grossières de Rasmussen. Est-ce que le peuple serbe très éprouvé souhaite verser le sang fraternel des autres peuples orthodoxes pour faire plaisir à ce monsieur et ses semblables? Pour conclure cette question, je citerai l’office de St Pierre de Cetinje: « Après avoir visité Vienne et Berlin, tu es revenu les mains vides… puis tu as accouru vers Ton Secours tout-puissant, Dieu ». Il y a là une vérité à méditer !

12. Etant donné que depuis des décennies déjà vous venez en Serbie et y fréquentez l’Eglise orthodoxe serbe, et que vous connaissez très bien la situation dans toutes les Eglises locales, que pensez-vous, à quel point le peuple de saint Sava revient au Christ ?

Comme vous le savez, le père Justin a critiqué l’attitude de l’épiscopat au sujet de ses relations avec le pouvoir et aussi de l’œcuménisme. À quel point l’épiscopat actuel est revenu sur la voie des Pères prônée par St Justin, ce n’est naturellement pas à moi d’en juger. Je ne peux donner que quelques réflexions d’un observateur extérieur. Actuellement, tel que je le perçois, le problème principal de l’Église orthodoxe serbe est son unité. Hormis le schisme que j’ai mentionné il y a un instant, l’un des problèmes que j’ai pu constater est l’introduction de réformes liturgiques que nous avons évoquées. Il me semble que pour le bien et la paix de l’Église, il serait sage d’y renoncer. L’histoire ecclésiastique récente nous a déjà donné un exemple : En 1924, le saint patriarche Tykhon, en Russie, et l’archevêque Chrysostome Papadopoulos, en Grèce, avaient introduit le nouveau calendrier dans leurs Églises respectives. Devant le trouble dans le peuple, le saint Patriarche Tykhon a eu la sagesse de revenir à l’ancien calendrier. Quant à l’archevêque Chrysostome Papadopoulos, il a insisté et maintenu le nouveau calendrier, moyennant quoi, il y a un schisme en Grèce qui dure maintenant depuis 90 ans. Il y a donc la voie du saint patriarche Tykhon ou celle de Chrysostome Papadopoulos, selon le but que l’on recherche. Pour conclure, je dois avouer que suis étonné par le fait que l’on occulte plus ou moins le rôle de confesseur joué par le père Justin dans l’Orthodoxie au XXème siècle. Peut-on parler de St Maxime le Confesseur et occulter sa lutte contre l’hérésie monothélite ? Ou bien St Marc d’Ephese et ne pas parler du Concile de Florence ?

Malgré tout, je suis optimiste : « Bienheureux est celui qui ne se scandalise pas par ce qui se passe dans l’Orthodoxie, à l’instar du bon larron qui ne s’est pas scandalisé devant le Christ crucifié », disait le père Justin. Pour conclure, je dirais que notre devoir est de vivre de façon orthodoxe, malgré toutes nos faiblesses humaines, sur la voie des saints Pères afin que, selon les paroles du Christ, « les hommes voient nos bonnes œuvres et glorifient notre Père qui est dans les cieux ». Et alors, comme me l’a dit un sage moine athonite : « Que le diable fasse son œuvre… Quant à nous, faisons la nôtre ! »

Aucun commentaire: