"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mercredi 30 décembre 2009

Fols-en-Christ: saint Isaac le Reclus



Saint Isaac le Reclus (14 février)

Pour autant que nous le sachions, Isaac fut le premier Russe à entrer dans la voie de la folie pour le Christ. Par sa vie, nous recevons aussi pour la première fois la manifestation de cette ruse spéciale de Satan appelée «prelest» en russe, «plani» en grec et illusion spirituelle en français.
Isaac vécut pendant la deuxième moitié du ixe siècle. Il avait été marchand prospère dans la ville de Toropets, mais avait ressenti un profond appel vers le monachisme. Isaac, dont le nom était Tchern avant sa tonsure, vendit tout ce qu’il avait, en donna le prix aux pauvres, prit sa croix et suivit le Christ. Le Seigneur conduisit son serviteur docile au monastère des Grottes de Kiev où saint Antoine, père du monachisme russe, le reçut et le tonsura.
Saint Isaac avait été choisi comme un instrument solide pour les travaux difficiles. Le nouveau moine mit une haire sous son rason1 et il commença à mener une vie très stricte. Plus tard, le saint prit une peau de chèvre fraîchement abattue, s’en fit une veste étroite et la porta par-dessus la haire. La peau de chèvre sécha sur lui et ainsi commença son combat puissant contre les passions.
Saint Isaac rechercha et obtint la bénédiction du staretz pour entrer dans la voie de la réclusion. Il s’enferma dans une petite grotte de cinq mètres où il pria Dieu dans les larmes. Pour nourriture, il n’avait que la prosphore2 du jour et une mesure d’eau. Saint Antoine lui-même lui apportait ces maigres provisions, les passant par une ouverture si petite qu’une main pouvait à peine y entrer. Le soir, il commençait à faire des prosternations sans arrêt jusques à minuit. Là, il devenait las et s’asseyait.
Pour l’instruction de tous les moines russes et pour des raisons connues de Lui seul, Dieu permit au Malin de tromper Isaac. Ceci arriva de la manière qui suit. Un jour, Isaac était assis, se reposant, et sa chandelle était déjà éteinte. Soudain, la grotte s'illumina d’une lumière vive. Deux silhouettes rayonnantes entrèrent : leurs visages brillaient comme le soleil. «Isaac, dirent-elles, nous sommes des anges et le Christ vient vers toi. Prosterne-toi devant Lui» ! Le saint ne comprit pas cette activité des démons et, sans se garder par le signe de la Croix ou le sentiment de sa propre indignité, il se leva et, allant vers elles, se prosterna jusques au sol devant la silhouette qui lui apparut alors, comme s’il s’agissait du Christ. Les démons s’écrièrent : «Tu es des nôtres, Isaac !», et ils le firent sortir, aller dans la cellule principale et ils s’assirent. Alors, toute la cellule et même le couloir de la grotte se remplirent de ces êtres qui semblaient des anges. Le démon qui était apparu en guise de Christ dit : «Prenez des flûtes, des cymbales, des psalterions et jouez ; qu’Isaac danse avec nous». Et ils commencèrent à jouer. Ils épuisèrent Isaac d’une telle manière qu’ils le laissèrent à peine vivant. Quand il eut atteint un état d’effondrement total, les démons sourirent avec mépris et le laissèrent là.
A l’aube, quand l’heure de rompre le jeûne arriva, saint Antoine vint, comme à l’accoutumée, à la petite fenêtre d’Isaac et répéta la prière1. Il n’y eut pas de réponse à l’intérieur et saint Antoine, supposant que le reclus était trépassé, envoya chercher saint Théodose et les frères au monastère. Ils entrèrent dans la grotte après avoir brisé la porte et en sortirent Isaac, pensant qu’ils n’avaient affaire qu’à un cadavre. Quand ils le sortirent à la lumière du jour, quelqu'un remarqua qu’il était encore vivant. «C’est là l’œuvre des démons !» dit saint Théodose. Ils mirent Isaac au lit, dans une des cellules du monastère. Saint Antoine prit soin du bienheureux ascète et le soigna de ses propres mains. Quand Antoine fut exilé à Tchernigov en 1068, l’higoumène saint Théodose amena Isaac dans sa propre cellule pour s’occuper de lui. Saint Isaac était dans un tel état d’épuisement qu’il fut incapable de bouger ou même de parler pendant plus de deux ans. Parce qu’il gisait constamment sur un côté, des vers se développèrent à plusieurs reprises sous l’os de sa hanche. Saint Théodose nettoyait la plaie et lavait le reclus de ses propres mains. Le doux higoumène priait sans discontinuer pour le rétablissement d’Isaac.
Pendant la troisième année, Isaac commença à parler et à entendre. Avec le temps, il se remit à marcher, mais comme un enfant qui fait ses premiers pas. Il ne voulut pas aller à l’église, mais on l’y conduisit de force. Puis on lui apprit à marcher jusques au réfectoire. Là, du pain fut placé devant lui, mais il ne le touchait point à moins qu’un des frères ne le mette dans sa main. Enfin saint Théodose dit : «Laissez-le apprendre à manger tout seul». Pendant une semaine, Isaac ne prit pas de pain. Puis, petit à petit, regardant les autres, il apprit à manger. Et ainsi, progressivement, il se rétablit après ce choc terrible.
Durant l’higouménat2 du père Stéphane qui succéda à saint Théodose, Isaac se rétablit complètement de sa maladie et recommença à mener une vie stricte. Il ne retourna plus à la grotte, mais il obtint du staretz la bénédiction pour entamer le combat spirituel de la folie en Christ. Il se revêtit à nouveau de la haire sur laquelle il porta une chemise ordinaire de paysan. Ses chaussures étaient complètement usées.
Isaac reçut l’obédience d’aide-cuisinier. Chaque matin, il arrivait avant tout le monde aux Matines et restait debout sans se mouvoir pendant tout l’office. Après les Matines, il allait à la cuisine pour préparer le feu.
Un des cuisiniers dont le nom était aussi Isaac, se moquait souvent du fol-en-Christ et le tourmentait. Considérant qu’Isaac était complètement fou, le cuisinier lui montra un jour du doigt un endroit vide et lui dit : «Isaac, il y a là un corbeau. Va l’attraper» ! Le bienheureux Isaac s’inclina devant son bourreau, alla à l’endroit indiqué et, ô miracle de Dieu, devant les yeux de tous, revint avec un corbeau dans ses mains. Les cuisiniers furent frappés de peur et d’étonnement et ils rapportèrent l’incident à l’higoumène et aux frères. A partir de ce moment-là, les moines se mirent à faire montre d’un respect marqué pour Isaac. Craignant la gloire du monde, le fol-en-Christ commença à se comporter d’une manière encore plus folle et à provoquer l’higoumène et les frères, à un point tel qu’il fut souvent vilipendé et même battu.
Pendant la période de l’higoumène Nicon, Isaac s’installa dans la grotte de saint Antoine et commença à accroître ses combats ascétiques.
Quand les enfants venaient à la grotte, le fol-en-Christ les habillait en moines. Les parents l’insultaient souvent à cause de cela, ou bien ils le frappaient.
De cette manière, le saint grandit en patience car il endurait tout avec douceur : les coups, les humiliations, et le froid qui le coupait à travers son vêtement sommaire et ses pieds presque nus.
Une nuit, le poêle était en mauvais état, les flammes se frayaient un chemin à travers les craquelures du haut. Comme il n’avait rien d’autre pour fermer ces orifices, Isaac les boucha en se tenant pieds nus sur eux et il resta ainsi jusques au moment où le poêle s’éteignit, faute de bois.
«Beaucoup d’autres choses ont été rapportées sur lui, et j’en ai vues quelques-unes moi-même», dit le vénérable Nestor, chroniqueur des Grottes de Kiev. Saint Isaac obtint enfin un tel pouvoir sur les démons qu’il réduisait à néant leurs apparitions et leurs terreurs. Il les considérait comme des mouches, leur disant : «Vous m’avez trompé autrefois dans les grottes parce que je ne connaissais pas votre ruse. A présent, mon Dieu, le Seigneur Jésus-Christ, est avec moi ainsi que le sont les prières de mon père Théodose. Et ainsi, j’espère vous défaire». Les démons lui faisaient néanmoins beaucoup de mal. «Tu es à nous, répliquèrent-ils. Tu t’es incliné devant notre maître et devant nous» ! «Votre maître est l’ennemi du Christ et vous êtes mauvais !», répondait-il en se gardant du signe de la Croix. Alors ils disparaissaient. Quelquefois ils revenaient la nuit et essayaient de le vaincre par la peur, ils lui apparaissaient encore comme une grande foule armée de pioches et clamant : «Creusons dans cette grotte et ensevelissons cet homme vivant» ! D’autres, prétendant lui être compatissants, lui disaient : «Echappe-toi Isaac, ils veulent t’enterrer vif» ! Mais il répliquait : «Si vous étiez bons, vous viendriez pendant la journée, mais vous appartenez aux ténèbres, vous marchez dans les ténèbres et les ténèbres sont votre lot». Et sur ce, il se signait avec la Croix et les démons disparaissaient. Finalement, il atteignit une telle maîtrise avec les démons qu’ils le laissèrent en paix et ne le troublèrent plus. Il dit lui-même que ce dernier combat continua trois ans.
Ses dernières années se passèrent dans une continence encore plus stricte, en jeûne et en veilles. Quand il tomba malade dans la grotte, il fut emmené au monastère où il reposa en Christ huit jours plus tard, le 14 février 1090, pendant la titulature de l’higoumène Jean.

La Sainte Eglise commémore saint Isaac à la date de son trépas. Les reliques du saint reposent, à la vue de tous, dans la grotte de saint Antoine.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Lev Puhalo & Vasili Novakshonoff
God's Holy Fools
Synaxis Press,
Montreal, CANADA
1976

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