"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 22 octobre 2012

Son Eminence le Novice ( Vladyka Basile [Rodzyanko]) (10)

Bishop Basil (Rodzyanko). Photo by Yu. Kaver


Dans le courant de l'été 1990, au cours de l'une des visites de l'évêque à Moscou, un jeune prêtre qui ressemblait à un grenadier à l'ancienne, est venu rencontrer l'évêque, et lui a immédiatement demandé de venir servir dans sa paroisse. Comme d'habitude, l'évêque n'a pas eu besoin qu'on le lui demande à deux reprises; en attendant, j'ai réalisé que nous allions avoir quelques problèmes.
"Et où est ta paroisse?" ai-je demandé sombre, au jeune prêtre. A mon ton de la voix le jeune grenadier a compris que je n'étais guère son allié. "Oh, pas loin…" fut la réponse hostile qu'il me fit. C'était la réponse habituelle qui nous était toujours donnée à chaque fois que nous étions invités à voyager à travers les vastes étendues sans fin de notre patrie!
"Tu vois, Georges? Il dit que ce n'est pas loin", déclara l'évêque, essayant en vain de me calmer. "Eh bien, pas trop loin", précisa le jeune grenadier.
"Où exactement?" ai-je demandé pour savoir. Le jeune prêtre se mit à balbutier un peu. "C'est une église tout à fait belle, construite au XVIIIe siècle. Il y en a peu en Russie comme elle! C'est dans le village de Gorelets... Non loin de Kostroma…" Mes pressentiments, comme cela s'est avéré, étaient tout à fait justifiés.
"Je vois," dis-je "Et quelle distance y a-t-il de Kostroma à ton Gorelets?"
"C'est peut-être à environ 150 kilomètres. Ou probablement plus proche de 200…", a admis ce jeune prêtre. "C'est entre Tchoukhloma et Kologriva, pour être exact..."
Je frémis. Puis j'ai commencé à penser à haute voix. "Voyons voir… quatre cents kilomètres d'ici à Kostroma... puis 200 autres... soit dit en passant, Vladyka, tu n'as même pas la moindre idée de ce genre de routes, qu'il y a là-bas entre le Tchoukhloma de cet homme et Kologriva? "
J'ai essayé de saisir la dernière goutte d'espoir. "Ecoute, jeune prêtre! As-tu reçu la bénédiction de l'évêque de Kostroma pour que cet évêque vienne te rendre visite? Parce que selon la loi de notre Eglise, sans la bénédiction de ton évêque, notre évêque n'a pas le droit de faire un office dans une autre paroisse! "
"Sans autorisation expresse de notre évêque, je ne serais jamais venu", m'assura sans pitié le jeune grenadier. "Toutes les bénédictions nécessaires ont déjà été reçues à l'avance de notre évêque."

Bishop Basil (Rodzyanko) and priest Andrei Voronin
Vladyka Basile et le prêtre André (Voronine)

Voilà comment l'évêque Basile a fini sur une route remplie d'ornières, bosselée, sinueuse, au milieu de nulle part, en route vers un village perdu au fond des forêts de la province de Kostroma. Père André Voronine, notre jeune grenadier, s'est en fait avéré être un serviteur remarquable et dévoué de l'Eglise, comme beaucoup de ceux qui venaient faire appel à nous dans ces années-là. Il était diplômé de l'Université de Moscou, première université du pays, mais avait mis de côté les perspectives de carrière dans le but de restaurer une église en ruine, et de créer une paroisse, une école et un beau camp d'été pour les enfants. Le voyage vers son village, cependant, fut vraiment long et ardu, et nous, ses compagnons de voyage, nous fûmes bientôt complètement épuisés.
Mais notre voiture s'est soudain arrêtée. Il y avait eu, littéralement quelques minutes auparavant, un accident sur la route: un camion était entré de plein fouet dans une moto. Il y avait un homme mort couché à droite dans la poussière de la route. Debout devant lui, engourdi par la douleur, se tenait un jeune homme. À proximité, le conducteur du camion fumait nonchalamment une cigarette.
L'évêque et ses compagnons sortirent précipitamment de la voiture. Il n'y avait déjà plus rien qui pouvait être fait pour aider. Cette absurdité cruelle de la façon dont les choses sont parfois dans la vie de ce monde, cette image terrible de la douleur humaine irréparable, déprima tous ceux qui se trouvaient là à cette minute sur la route.
Le jeune motard, tenant son casque dans ses mains, pleurait. Le mort était son père. L'évêque embrassa le jeune homme et lui dit: "Je suis prêtre. Si ton père était croyant, je peux dire les prières nécessaires pour lui."
"Oui, oui!" dit le jeune homme qui commençait à revenir du choc. "S'il vous plaît faites tout ce qui est nécessaire! Mon père était un croyant orthodoxe. Mais... il n'avait jamais l'habitude d'aller à l'église. Ils se sont débarrassés de toutes les églises dans les environs. Mais il avait l'habitude de dire qu'il avait un père spirituel. Alors s'il vous plaît, faites tout ce qui est nécessaire! "
Ils avaient déjà sortis les vêtements ecclésiastiques nécessaires de la voiture. L'évêque ne put se contenir et demanda doucement au jeune homme, "Comment se fait-il que ton père ne soit jamais allé à l'église, et que pourtant il avait un père spirituel?"
"C'est juste arrivé comme ça... Pendant de nombreuses années mon père avait l'habitude d'écouter les émissions religieuses de Londres. Elles étaient faites par un prêtre nommé Rodzyanko. Et mon père considérait ce prêtre comme son père spirituel, même s'il ne l'avait jamais vu une seule fois de sa vie."
L'évêque sanglota et pleura et il se mit à genoux devant son fils spirituel qui venait de mourir.


Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Archimandrite Tikhon

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