"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

vendredi 14 mars 2014

STARITZA NIKODIMA DE DIVIYEVO † 2/15 mars ( 1990) [18]


51.jpg
Eglise de l'Annonciation de la Mère de Dieu de Diviyévo
18. " Le Métochion de Diviyévo "
Quand je suis arrivée, nous avons vécu là, juste nous deux, mais plus tard, beaucoup de filles sont venues et ont vécu dans cette maison. Le métochion  [dépendance d’un monastère] existe encore naturellement. Nous sommes très respectueuses les unes des autres, même aujourd'hui, car elle a uni tout le monde avec amour, et nous avons appris beaucoup dans ce métochion. C’était comme une petite communauté monastique, et l'Église des Catacombes a continué avec nous. Père Séraphim lui-même avait dit: "Tu auras un métochion."
Il y avait une règle très stricte. Matouchka était déjà une moniale du grand schème, et elle avait une très longue règle de prière. Elle devait lire le Psautier entier tous les jours, dire 1600 Prières de Jésus et faire la règle monastique en plus. Et comment peut-on faire tout cela quand il y a toujours des gens dans la maison? De très nombreuses personnes venaient la voir. Elle n'a jamais renvoyé quiconque. Nous avions l'habitude de nous lever à 5h du matin. Elle venait frapper à notre porte: "Réveillez-vous les enfants, réveillez-vous, c’est le temps de la prière." Nous grommelions avec déplaisir, ne voulant pas nous lever, mais nous le faisions. Maintenant, je ne pourrais pas faire ces travaux que nous faisions alors, c'était probablement possible grâce à ses prières. Nous travaillions dur et nous avions un tel travail dans le monde, que nous devions mortifier nos passions.
Au travail, nous étions fatigués, le soir presque tous les jours, nous lisions Vêpres. Nous avions des livres de Services Divins à la maison. Elle ne nous laissait aller à la Laure qu'à contrecœur, même si nous étions impatientes d'y aller de toutes nos forces. Elle disait: "Vous n’avez rien à faire là-bas. Apprenez les offices ici. Là-bas, vous agissez comme des folles, vos yeux flottent tout autour, vous devriez rester à la maison et prier…" Donc, la plupart du temps, elle nous gardait à la maison.
Nous nous levions le matin, lisions la règle, qui durait parfois jusqu'à midi; c'est-à-dire de 5h à midi. Nous lisons tout le Livre des Canons, plus un acathiste pour le saint du jour, ainsi que les prières avant la Liturgie; Liturgie bien sûr, que nous ne pouvions pas faire. Nous lisions et Matouchka faisait la prière de Jésus, puis elle a prenait le Psautier, alors que nous courions à la cuisine, car il fallait préparer la nourriture pour les gens qui venaient toujours après le déjeuner et avant même. La première priorité était de les nourrir, et nous avons souvent fait de grands pots de nourriture. J'étais l'ennemi juré de la cuisine, c’était pour moi la plus grande épreuve. Je souffrais incroyablement qu'ils m'aient attribué les casseroles. Mais voici comment patiemment Matouchka portait ceci: "Mon enfant, mon enfant, allons mon enfant." Je murmurais: "Nous ferions mieux de prier. Nous avons notre règle à faire, et là, te voilà, toi et tes casseroles! En quoi avons-nous besoin de ces casseroles?" "Mon enfant, mon enfant, permets-moi de nettoyer quelques carottes. Donne-moi des carottes, et verse un peu d'eau." Ainsi m’a-t-elle convaincue. Mais le Seigneur m'a humilié pour ma désobéissance. Tout ce que j'avais à faire était de désobéir, et les gens viendraient en foule et il n'y aurait rien à manger.
Elle n'a jamais grondé quelqu'un dans sa vie, n'a jamais dit "Je t’ai dit de le faire, mais tu ne le fais pas." Elle disait: "Aïe, vite, vite, Tanya dépêche-toi, les gens sont arrivés." Quelle humilité, quelle patience, quel amour elle avait pour nous, mais elle était aussi remarquablement stricte avec nous. Nous ne pouvions pas prendre une tasse dans le placard sans le demander. Au début, je ne comprenais pas et je murmurais beaucoup. Je pensais que je ne serais tout simplement pas en mesure de supporter tout cela, d'autant plus que j'étais habituée à la liberté, à la mauvaise conduite, pour être plus précise, et maintenant je devais marcher sur une plancheet obéir à une vieille dame. Je me souviens qu’une fois que j'ai pleuré et j’ai dit: "Je ne peux plus le faire, tu fais tout cela, juste tout exprès pour te moquer de moi." Mais Matouchka très calme et paisible a déclaré: "Je tiens à t’enseigner ce qui est correct. Afin que tout soit la volonté de Dieu,  avec une bénédiction, afin que l'obéissance soit présente en tout, car le Seigneur ne l'acceptera pas si cela vient de toi-même."
 Il était très difficile de lutter avec moi-même, mais le Seigneur m'a aidé par ses prières. Il était extraordinairement facile de prier avec elle. Les pages et les livres semblaient juste voler. Le faire sur une base individuelle était comme faire tourner une meule de moulin, mais avec Matouchka nous ne remarquions même pas le temps passer. Je n'étais pas la seule à remarquer cela. Lorsque nous priions, il semblait qu'une certaine mesure du fardeau tombait de nos épaules. Nous nous sentions si légères après les prières…
Elle avait le don de clairvoyance. En raison de sa modestie et de son humilité, elle le garda pour elle-même, ne le révélant à personne. Bien que j'ai été avec elle pendant longtemps, le Seigneur ne me le montra que plus tard, et je compris que je devais lui obéir en tout, même s’il y avait des startsy dans la Laure, et que j'avais un père spirituel. Il arrivait qu’elle disait: "Tanya, va au magasin et tu verras Annoucha [petite Anne]. Elle te donnera quelque chose." Je sortais comme une fusée, et bien sûr, Annoucha était là et me donnait cette chose. Nous n’étions jamais allées nulle part, et nous ne savions rien. Elle disait: "Dans la Laure, ce prêtre fait quelque chose de mal, et tu dois lui dire cela." Nous sommes allés, et j'ai dit: "Père, s'il vous plaît pardonnez-moi, mais vous ne devez pas faire cela."
Un diacre, le Père. Vladimir, vivait à côté de chez nous (il sert maintenant en Amérique). Je lui ai dit à ce sujet: "Ils font cela dans la Laure. Est-ce vrai ou pas ? Matouchka nous l’a dit?" Il était étonné: "Comment le sait-elle ? Vous êtes assises à la maison et vous n’allez nulle part?" Ensuite, le diacre a dit: "Ah! Je sais. Elle s'assied et regarde par la fenêtre, et les moines passent tout près (ils avaient là un métochion)." J'ai dit: "Oui, bien sûr, on regarde par la fenêtre et on voit ce qui se passe dans la Laure ?
Matouchka était très directe de nature. Vladyka Sérapion était son père spirituel. Quand le Père Séraphim n'était plus, elles ne reconnaissaient pas que quiconque soit au-dessus d’elles, sinon "Papa". Mais l'évêque Sérapion les a guidées. Il tonsura Mère Suzanne et Mère Nikodima dans le schème. Il voyageait à l'étranger; là, ils avaient peur des prêtres "rouges", et ils lui ont dit: "Nikodima, tu le sais, tu devrais quitter Sérapion : il a un" livret rouge [c’est-à-dire qu’il a un passeport soviétique du gouvernement communiste, et travaille pour le KGB]". Elle s'approcha de lui et dit: "Pardonne-moi Batiouchka (il n'était pas évêque à l'époque), mais bénis-moi pour aller vers un autre père spirituel." "Pourquoi? "dit-il, car il l’aimait et la respectait. "Tu as une sorte de livret rouge." Il répondit, "Il n'est pas rouge, il est gris." "Je ne sais pas à quoi il ressemble, ce n'est pas grave. Mais bénis-moi pour aller vers un autre père spirituel. Pardonne-moi, je te le dis en face. Que tu m'aimes ou que tu ne m'aimes pas, je te le dis comme ça !"
C'est ainsi qu’elle était. Elle pouvait dire quelque chose à quelqu'un, face à face, et le dire d'une manière telle qu'elle n’offensait personne. Elle avait le don d'ouverture et de franchise afin de sauver l'âme de son prochain.
Elle vénérait beaucoup sa sainte patronne, sainte Parascève, et recevait toujours la Sainte Communion pour son jour de fête, en se préparant bien pour cela.
Un jour, je suis allé à la Laure [pour trouver un prêtre pour lui donner la Sainte Communion]. Habituellement, ils venaient facilement, mais cette fois il y avait quelque tentation : personne ne voulait la communier, ils étaient tous trop occupés. Alors je me tournai vers le Père Platon, et il a dit: "Je ne peux pas non plus, mais je vais demander à l'un des élèves externes, lui donner mes Saints Dons, et il ira la communier." J'ai dit à ce prêtre avec indignation: "Pardonne-moi mon père, mais c'est une Matouchka de Diviyévo, s'il te plaît, fais un effort pour l'amour du Christ." Je pensais, bon il a ses propres affaires, et maintenant nous lui avons trouvé plus de travail.
Il me regarda avec surprise: "Que veux-tu dire, par Divyévo? D’où viennent les moniales de Diviyévo?" J'ai dit: "Elle vit ici depuis longtemps, car  elle a reçu la bénédiction pour le faire." Il ne dit plus rien. Il avait un regard de séculier, et semblait comme tel. Eh bien, je l'ai amené à la maison et il est entré. Matouchka était déjà dans son habit, prête, regardant par la fenêtre, et attendant.
Alors elle se retourna soudainement: "Bénis, Vladyka [Maître : pour un évêque]! J'ai dit: "Eh bien, bonjour, un simple prêtre est venu pour te servir. Les moines aujourd'hui ont refusé de le faire. Cela doit vouloir dire que tu fais quelque chose de mal " Elle a juste regardé en disant: "Je ne sais pas, mais voilà un évêque." Ce prêtre fut frappé de cet imprévu." Matouchka, comment sais-tu cela ?" "Eh bien, je ne sais pas, mais voilà un évêque." Il ne dit rien, se rendit dans la salle, la confessa et la fit communier.
Puis ils se sont assis à table et le prêtre dit qu'il avait eu de très grandes épreuves. Il avait été persécuté dans sa paroisse et avait enduré beaucoup d'injustice, de tentations de l'Ennemi. Le Diable avait fomenté des persécutions contre lui. C’était un prêtre marié. Cette nuit même, avant que je l’aie rencontré, saint Séraphim lui était apparu en rêve. Le saint l’avait réconforté et lui avait dit: "Ne t’afflige pas, tu seras évêque." Il ne croyait pas en ce rêve, et il décida que c'était une attaque du Diable. Il ne l'acceptait pas du tout à cause de son humilité. Mais quand je l'ai invité à communier une religieuse de Diviyévo, et quand il l’a entendue l’appeler Vladyka dès la porte, comme il l’avait entendu dire de saint Séraphim, il fut bien sûr choqué et surpris.
Quand je suis rentré avec lui à la Laure, il m’a dit quelque chose que personne n'avait jamais dit, c'était la vérité, il a dit: "Tanya, accroche-toi à cette moniale, car il y a quelque chose en elle qui a été pratiquement anéanti chez les gens. C'est ce que les saints Pères appellent l’humilité. Il s'agit de la plus profonde de toutes les vertus. Mais beaucoup des ascètes d'aujourd'hui ne savent même pas ce que c'est. Mais ces anciens esclaves de Dieu le savent. La grâce de Dieu n'est pas donnée pour rien, il faut souffrir et pleurer, son chemin a sans doute été difficile."
Quand il m'a dit cela, j’ai réfléchi sur elle et j’ai commencé à l'observer plus attentivement. Elle avait une humilité très profonde; Elle pouvait ployer sous toutes les conditions de la vie, passer inaperçue en tout, pour voir tranquillement et sans mots inutiles et comprendre la volonté de Dieu, et tout supporter magnanimement. Quand Matouchka mourut, nous nous sommes souvenues d'elle, et nous nous sommes rappelées soudain qu'elle ne s'était jamais irritée, n’avait jamais crié après quiconque, ne s’était jamais mise en colère, juste un regard d'elle était suffisant. C'était terrible de la mettre en colère. Son mécontentement s’exprimait en quelques mots: "Papa, mon cher saint Séraphim, regarde juste ce qu'elles font." C'était sa punition, mais elle n'était pas terrible, car nous savions que ces paroles coûtaient très cher.
Ainsi, elle était toujours pacifique, toujours, toujours en prière. Peu importe qui venait la voir, elle pleurait avec ceux qui pleurent, mais son chapelet se déplaçait  toujours [entre ses doigts]. Même la nuit, nous nous réveillions et la regardions et elle dormait, le sifflement de sommeil emplissait l'air, mais sa main se déplaçait sur le chapelet. Comment cela pouvait-il être possible? Cette main ne cessa jamais de travailler, comme si, [telle une montre], elle avait été remontée un jour et qu’elle n'avait jamais cessé depuis de fonctionner. Elle aimait beaucoup la prière de Jésus.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après


Aucun commentaire: